Correspondence #2014
AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF
Quartier général, Milan, 27 messidor an V (15 juillet 1797)
Vous trouverez ci-joint la copie de la lettre que je reçois du général Clarke; vous y verrez que l'on allonge toujours. Il est hors de doute que l'Empereur veut voir la tournure que prendront les affaires en France, et que l'étranger est pour plus que l'on ne croit dans toutes ces machi-nations.
L'armée reçoit une grande partie des journaux qu'on imprime à Paris, surtout les plus mauvais; mais cela produit un effet tout contraire à celui qu'ils se promettent; l'indignation est à son comble dans l'armée. Le sol-dat demande à grands cris si, pour prix de ses fatigues et de six ans de guerre, il doit être, à son retour dans ses foyers, assassine comme sont menacés de l'être tous les patriotes. Les circonstances s'aggravent tous les jours, et je crois, Citoyens Directeurs, qu'il est imminent que vous preniez un parti.
Vous trouverez ci-joint la proclamation que j'ai faite à l'armée' elle a produit le meilleur effet.
Il n'y a pas un seul homme ici qui n'aime mieux périr les armes à la main que de se faire assassiner dans un cul-de-sac de Paris.
Quant à moi, je suis accoutume a une abdication totale de mes inté-réts; cependant je ne puis pas être insensible aux outrages, aux calom-nies que quatre-vingts journaux répandent tous les jours et à toute occa-sion, sans qu'il y en ait un seul qui les démente; je ne puis pas être insensible à la perfidie et ait tas d'atrocités contenues dans cette motion d'ordre, imprimée par ordre du Conseil des Cinq-Cents. Je vois que le club de Clichy veut marcher sur mon cadavre pour arriver à la destruction de la République. N'est-il donc plus en France de républicains? et, après avoir vaincu l'Europe, serons-nous donc réduits à chercher qùelque angle de la terre pour y terminer nos tristes jours?
Vous pouvez d'un seul coup sauver la République, deux cent mille têtes peut-être qui sont attachées à son sort, et conclure la paix en vingt-quatre heures t faites arrêter les émigrés; détruisez l'influence des étrangers. Si vous avez besoin de force, appelez les armées. Faites briser les presses des journaux vendus à l'Angleterre, plus sanguinaires que ne le fut jamais Marat. Quant à moi, Citoyens Directeurs, il est impossible que je puisse vivre au milieu des affections les plus opposées; s'il n'y a point de remède pour faire finir les maux de la patrie, pour mettre un terme aux assas-sinats et à l'influence de Louis XVIII, je demande ma démission.
Vous trouverez ci-joint le stylet pris sur les assassins de Vérone.
Mais, dans toutes les circonstances, le souvenir des marques cons-tantes, que vous m'avez données, de la confiance la plus illimitée, ne sor-tira jamais de ma mémoire.
BONAPARTE