Correspondence #1663
AU PRINCE CHARLES, COMMANDANT L'ARMEE AUTRICHIENNE
Quartier général, Klagenfurt, 11 germinal an V (31 mars 1797)
Monsieur le Général en chef, les braves militaires font la guerre et désirent la paix. Celle-ci ne dure-t-elle pas depuis six ans? Avons-nous assez tué de monde et commis assez de maux à la triste humanité! Elle réclame de tout côté. L'Europe, qui avait pris les armes contre la Répu-blique française, les a posées. Votre nation reste seule, et cependant le sang va couler encore plus que jamais. Cette sixième campagne s annonce par des présages sinistres; quelle qu'en soit l'issue, nous tuerons de part et d'autre quelques milliers d'hommes de plus, et il faudra bien que l'on finisse par s'entendre, puisque tout a un terme, même les passions hai-neuses.
Le Directoire exécutif de la République française avait fait connaître a S. M. l'Empereur le désir de mettre fin à la guerre qui désole les deux peuples: l'intervention de la cour de Londres s'y est opposée. N'y a-t-il donc aucun espoir de nous entendre, et faut-il, pour les intérêts ou les passions d'une nation étrangère aux maux de la guerre, que nous con-tinuions à nous entr'égorger? Vous, Monsieur le Général en chef, qui, par votre naissance, approchez si près du trône et êtes au-dessus de toutes les petites passions qui animent souvent les ministres et les gou-vernements, êtes-vous décidé à mériter le titre de bienfaiteur de l'hu-manité entière, et de vrai sauveur de l'Allemagne? Ne croyez pas, Monsieur le Général en chef, que j'entende par là qu'il ne vous soit pas pos-sible de la sauver par la force des armes; mais, dans la supposition que les chances de la guerre vous deviennent favorables, l'Allemagne n'en sera pas moins ravagée. Quant à moi, Monsieur le Général en chef, si l'ouverture que j'ai l'honneur de vous faire peut sauver la vie a un seul homme, je m'estimerai plus fier de la couronne civique que je me trouverais avoir méritée, que de la triste gloire qui peut revenir des suc-ces militaires. Je vous prie de croire, Monsieur le Général en chef, aux sentiments d'estime et de considération distinguée avec lesquels je suis, etc.
BONAPARTE