Correspondence #148
AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF
Quartier général, Carcare, 25 germinal an IV (14 avril 1796)
La campagne d'Italie a commencé. J'ai a vous rendre compte de la bataille de Montenotte.
Après trois jours de mouvements pour nous donner le change, le général Beaulieu a fait attaquer par une division de 10,000 hommes la droite de l'armée, appuyée sur Voltri.
Le général Cervoni, qui y commandait, ayant sous ses ordres la 70e a 99e demi-brigade, soutint le feu avec l'intrépidité qui caracté-rise soldats de la liberté. Je ne pris pas le change sur les véritables intentions des ennemis. Dès l'instant que je fus instruit des circonstances de l'attaque de la droite, j'ordonnai au général Cervoni d'attendre la nuit et de se replier, par une marche forcée et en cachant son mouvement àl'ennemi, sur mon centre, qui était appuyé sur les hauteurs de la Ma-done de Savone.
Le 21, à quatre heures du matin, Beaulieu en personne, avec 15,000 hommes, attaqua et culbuta toutes les positions sur lesquelles était appuyé le centre de l'armée; à une heure après-midi, il attaqua la redoute de Monte-Legino, qui était notre dernier retranchement. Les ennemis revinrent plusieurs fois à la charge; mais cette redoute, gardée par 1,500 hommes, était imprenable par le courage de ceux qui la défendaient. Le chef de brigade Rampon, qui y commandait, par un de ces élans qui caractérisent une âme forte et formée pour les grandes actions, fit, au milieu du feu, préter le serment à sa troupe de mourir tous dans la redoute. Les ennemis passèrent la nuit à la portée du pistolet.
Pendant la nuit le général Laharpe, avec toutes les troupes de la droite, prit poste derrière la redoute de Monte-Legino. A une heure après minuit, je partis avec les généraux Berthier et Masséna, le commissaire Saliceti et une partie des troupes du centre et de la gauche, et nous nous portâmes, par Altare, sur le flanc et le derrière de l'ennemi.
Le 22, à la pointe du jour, Beaulieu, qui avait reçu du renfort, et Laharpe s'attaquèrent et se chargèrent avec vigueur et différents succès, lorsque le général Masséna parut et sema la mort et l'épouvante sur le flanc et sur le derrière, où commandait le général Argenteau. La déroute de l'ennemi a été complète. Deux de ses généraux, Roccavina et Argen-teau, ont été grièvement blesses.
La perte de l'ennemi se porte entre trois à quatre mille hommes, parmi lesquels plus de deux mille cinq cents prisonniers, un colonel, huit ou dix officiers supérieurs et plusieurs drapeaux. Notre perte ne va pas à quatre cents hommes.
Quand j'aurai reçu tous les rapports, et que je serai moins commandé par le travail, je vous enverrai une relation détaillée qui puisse vous tire connaître ceux à qui la patrie doit une reconnaissance particulière. Generaux, officiers, soldats, tous ont soutenu dans cette journée memorable la gloire du nom français.
BONAPARTE