Correspondence #1399
AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF
Quartier général, Vérone, 29 nivôse an V (18 janvier 1797)
Citoyens Directeurs, je m'étais rendu à Bologne avec 2,000 hommes, afin de chercher, par ma proximité, à imposer à la cour de Borne, et lui faire adopter un système pacifique dont cette cour paraît s'éloigner de plus en plus depuis quelque temps.
J'avais aussi une négociation entamée avec le grand-duc de Toscane, relativement à la garnison de Livourne, que ma présence à Bologne terminerait infailliblement.
Mais, le 18 nivôse, la division ennemie qui était à Padone se mit en mouvement; le 19, elle attaqua l'avant-garde du général Augereau qui était à Bevilacqua, en avànt de Porto-Legnago. Après une escarmouche assez vive, l'adjudant général Duphot, qui commandait cette avant-garde, se retira à San-Zeno et le lendemain à Porto-Legnago, après avoir eu le temps, par sa résistance, de prévenir toute la ligne de la marche de l'ennemi.
Je fis passer aussitôt sur l'Adige les 2,000 hommes que j'avais avec moi à Bologne, et je partis immédiatement après pour Vérone.
Le 23, à six heures dii matin, les ennemis se présentèrent devant Vérone, et attaquèrent l'avant-garde du général Masséna, placée au village de Saint-Michel. Ce général sortit de Vérone, rangea sa division en ba-taille, et marcha droit à l'ennemi, qu'il mit en déroute, lui enleva trois pièces de canon et lui fit 600 prisonniers. Les grenadiers de la 75e enle-vèrent les pièces à la baïonnette; ils avaient à leur tête le général de bri-gade Brune, qui a eu ses habits percés de sept balles.
Le même jour et à la môme heure, l'ennemi attaquait la tête de notre ligne de Monte-Baldo défendue par l'infanterie légère du général Joubert. Le combat fut vif et opiniâtre. L'ennemi s'était emparé de la première redoute; mais Joubert se précipita à la tête de ses carabiniers, chassa l'ennemi qu'il mit en déroute complète, et lui fit 110 prisonniers.
Le 24, l'ennemi jeta brusquement un pont à Anghiari et y fit passer son avant-garde, à une lieue de Porto-Legnago. En même temps le général Joubert m'instruisit qu'une colonne assez considérable filait par Montagna et menaçait de tourner son avant-garde à la Corona. Différents indices me firent connaître le véritable projet de l'ennemi, etje ne doutai plus qu'il n'eût envie d'attaquer, avec ses principales forces, ma ligne de Rivoli, et par là arriver à Mantoue. Je lis partir dans la nuit la plus grande partie de la division du général Masséna, et je me rendis moî-meme a Rivoli, où j'arrivai à deux heures après minuit.
Je fis aussitôt reprendre au général Joubert la position intéressante de San-Marco; je fis garnir le plateau de Rivoli d'artillerie, et je disposai le tout afin de prendre, à la pointe du jour, une offensive redoutable, et de marcher moi-même à l'ennemi.
A la pointe du jour, notre aile droite et l'aile gauche de l'ennemi se montrèrent sur les hauteurs de San-Marco. Le combat fut terrible et opiniâtre. Le général Joubert, à la tête de la 33e, soutenait son infanterie légère que commandait le général Vial. Cependant M. Alvinzi, qui avait fait ses dispositions le 24 pour enfermer toute la division du général Jou-bert, continuait d'exécuter son même projet; il ne se doutait pas que, pen-dant la nuit, j'y étais arrivé avec des renforts assez considérables pour rendre son opération non-seulement impossible, mais encore désastreuse pour lui. Notre gauche fut vivement attaquée, elle plia, et l'ennemi se porta sur le centre. La 14e demi-brigade soutint le choc avec la plus grande bravoure. Le général Berthier, chef de l'état-major, que j'y avais laissé, déploya dans cette occasion la bravoure dont il a fait si souvent preuve dans cette campagne. Les Autrichiens, encouragés par leur nombre, redoublaient d'efforts pour enlever les canons placés devant cette demi-brigade; un capitaine s'élance au-devant de l'ennemi en criant: "14e laisserez-vous prendre vos pieces?" en même temps la 32e, que j'avais envoyée pour rallier la gauche, paraît, reprend toutes les positions per-dues, et, conduite par son général de division Masséna, rétablit entière-ment les affaires.
Cependant, il y avait déjà trois heures que l'on se battait, et l'ennemi ne nous avait pas encore présenté toutes ses forces. Une colonne ennemie qui avait longé l'Adige, sous la protection d'un grand nombre de pièces, marche droit au plateau de Rivoli pour l'enlever, et par là menace de tourner la droite et le centre. J'ordonnai au général de cavalerie Leclerc de se porter pour charger l'ennemi, s'il parvenait à s'emparer du plateau de Rivoli, et j'envoyai le chef d'escadron Lasalle, avec 50 dragons, prendre en flanc l'infanterie ennemie qui attaquait le centre, et la charger vi-goureusement. Au même instant le général Joubert avait fait descendre des hauteurs de San-Marco quelques bataillons qui plongeaient le plateau de Rivoli. L'ennemi qui avait déjà pénétré sur le plateau, attaqué vive-ment de tous côtés, laisse un grand nombre de morts, une partie de son artillerie, et rentre dans la vallée de l'Adige. A peu près au même mo-ment la colonne ennemie, qui était déjà depuis longtemps en marche pour nous tourner et nous couper toute retraite, se rangea en bataille sur des pitons derrière nous. J'avais laissé la 75e en reserve, qui non-seulement tint cette colonne en respect, mais encore en attaqua la gauche qui s'était avancée, et la mit sur-le-champ en déroute. La 18e demi-brigade arriva sur ces entrefaites, dans le temps que le général Rey avait vis position derrière la colonne qui nous tournait. Je fis aussitôt nonner l'ennemi avec quelques pièces de 12; j'ordonnai l'attaque, et en moins d'un quart d'heure toute cette colonne, composée de pîus de 4,000 hommes, fut faite prisonnière. L'ennemi, partout en déroute, fut partout poursuivi, et, pendant toute la nuit, ou nous amena des prison-niers. 1,500 hommes qui se sauvaient par Garda furent arrêtés par 50 hommes de la 18e, qui, du moment qu'ils les eurent reconnus, mar-chèrent sur eux avec confiance et leur ordonnèrent de poser les armes.
L'ennemi était encore maître de la Corona, mais il ne pouvait plus être dangereux. Il fallait s'empresser de marcher contre la division de M. le général Provera qui avait passé l'Adige le 94, à Anghiari; je fis filer le général Victor avec la brave 57e, et rétrograder le général Masséna qui, avec une partie de sa division, arriva à Roverbella le 25.
Je laissai l'ordre en partant au général Joubert d'attaquer, à la pointe du jour, l'ennemi, s'il était assez téméraire pour rester encore à la Corona.
Le général Murat avait marché toute la nuit avec une demi-brigade d'infanterie légère, et devait paraître, dans la matinée, sur les hauteurs de Monte-Baldo qui dominent la Corona. Effectivement, après une resîs-tance assez vive, l'ennemi fut mis en déroute, et ce qui était échappé àla journée de la veille fut fait prisonnier; la cavalerie ne put se sauver qu'en traversant l'Adige à la nage, et il s'en noya beaucoup.
Nous avons fait, dans les deux journées de Rivoli, 13,000 prisonniers, et pris neuf pièces de canon. Les généraux Sandoz et Meyer ont été blessés en combattant vaillamment à la tête des troupes.
COMBAT DE SAINT-GEORGES
M. le général Provera, à la tête de 6,000 hommes, arriva le 26 àmidi au faubourg de Saint-Georges; il l'attaqua pendant toute la journée, mais inutilement. Le général de brigade Miollis défendait ce faubourg; le chef de bataillon dii génie Sanson l'avait fait retrancher avec soin. Le général Miollis, aussi actif qu'intrépide, loin d'être intimidé des menaces de l'ennemi, lui répondit avec du canon, et gagna ainsi la nuit du 26 au 27, pendant laquelle j'ordonnai au général Serurier d'occuper la Favorite avec la 57e et la 18e demi-brigade de ligne et toutes les forces disponibles que l'on put tirer des divisions du blocus. Mais, avant de vous rendre compte de la bataille de la Favorite, qui a eu lieu le 27, je dois vous parler des deux combats d'Anghiari.
PREMIER COMBAT D'ANGHIARI
La division du général Provera, forte de 10,000 hommes, avaîtpercé le passage d'Anghiari. Le général de division Guieu avait aussitôt réuni toutes les forces qu'il avait trouvées, et avait marché à l'ennemi; n'ayant que 1,500 hommes, il ne put pas parvenir à faire repasser la rivière à l'en-nemi, mais il l'arrêta une partie de la journée et lui fit 300 prisonniers.
Le général Provera ne perdit pas un instant, il fila sur-le-champ sur Castellaro. Le général Augereau tomba sur l'arrière-garde de sa division, et, après un combat assez vif, enleva toute l'arrière-garde de l'ennemi, lui prit seize pièces de canon et lui fit 2,000 prisonniers. L'adjudant général Duphot s'y est particulièrement distingué par son courage. Les 9e et 18e régiments de dragons et le 25e chasseurs s'y sont particuliè-rement distingués. Un commandant de hussards se présente devant un escadron du 9e régiment de dragons, et, par une de ces fanfaronnades communes aux Autrichiens, "Rendez-vous," crie-t-il au régiment. Le citoyen Duvivier fait arrêter son escadron, "Si tu es brave, viens me prendre," crie-t-il au commandant ennemi. Les deux corps s'arrêtent, et les deux chefs donnèrent un exemple de ces combats que nous décrit avec tant d'agrément le Tasse. Le commandant de ublans fut blessé de deux coups de sabre. Les troupes alors chargèrent, et les uhlans furent faits prisonniers.
Le général Provera fila toute la nuit, arriva, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, à Saint-Georges, et l'attaqua le 26. N'ayant pas pu y entrer, il projeta de forcer la Favorite, de percer les lignes du blocus, et, secondé par une sortie que devait faire Wurmser, de se jeter dans Mantoue.
BATAILLE DE LA FAVORITE
Le 27, une heure avant le jour, les ennemis attaquèrent la Favorite, dans le temps que Wurmser fit une sortie et attaqua les lignes du blocus par Sant'-Antonio. Le général Victor, à la tête de la 57e demi-brigade, culbuta tout ce qui se trouva devant lui. Wurmser fut obligé de rentrer dans Mantoue presque aussitôt qu'il en était sorti, et laissa le champ de bataille couvert de morts et de prisonniers. Le général Serurier fit avancer alors le général Victor, avec la 57e demi-brigade, afin d'acculer Provera au faubourg de Saint-Georges, et, par là, le tenir bloqué. Effectivement, la confusion et le désordre étaient dans les rangs ennemis cavalerie, infanterie, artillerie, tout était pêle-mêle. La terrible 57e demi-brigade n'était arrêtée par rien d'un côté, elle prenait trois pièces de canon; d'un autre, elle mettait à pied le régiment des hussards de Her-Dendi. Dans ce moment, le respectable général Provera demanda à capituler; il compta sur notre générosité, et ne se trompa pas. Nous lui accordâmes la capitulation dont vous trouverez ci-joint les articles. 6,000 prisonniers, parmi lesquels tous les volontaires de Vienne. 20 pièces de canon, furent le fruit de cette journée mémorable.
L'armée de la République a donc, en quatre jours, remporté deux batailles rangées et six combats, fait près de 25,000 prisonniers, parmi lesquels un lieutenant général et deux généraux, douze à quinze colo-nels, etc. pris 20 drapeaux, 60 pièces de canon, et tué ou blessé au moins 6,000 hommes.
Je vous demande le grade de général de division pour le général Victor, celui de général de brigade pour l'adjudant général Vaux. Toutes les demi-brigades se sont couvertes de gloire, et spécialement les 32e, 57e et la 18e de ligne que commandait le général Masséna, et qui, en trois jours, ont battu l'ennemi à Saint-Michel, à Rivoli et à Roverbella. Les légions romaines faisaient, dit-on, vingt-quatre milles par jour; nos bri-gades en font trente, et se battent dans l'intervalle.
Les citoyens Destaing, chef de la 4e demi-brigade légère, Marquis, chef de la 29e, Fornésy, chef de la 17e, ont été blessés. Les généraux de bri-gade Vial, Brune, Bon et l'adjudant général Argod se sont particulière-ment distingués.
Les traits particuliers de bravoure sont trop nombreux pour être tous cités ici.
BONAPARTE