Antioka

A Lourenço Marques, nous avons vu le missionnaire entouré et debordé par une vaste congrégation chrétienne qui prend tout son temps et toutes ses forces et l'oblige a mettre a l'arrière-plan la lutte avec le monde payen qui l'entoure. A Rikatla, le missionnaire peut consacrer son temps et ses efforts alternativement a l'édification du troupeau et a l'évangélisation a l'extérieur. Si cette dernière presentait plus de chances de succès, nous dirions que c'est là l'activité missionnaire normale. En arrivant a Antioka, l'extreme nord de notre champ de travail, nous entrons en plein dans le monde payen, non encore entouré par l'Évangile, et guère davantage par les influences étrangères. C'est l'entrée du Gaza, oś les razzias et les massacres sont encore a l'ordre du jour, et oś la securité est une chose inconnue. Heureusement il n'y a pas en cette année de troubles politiques dans le pays de Khocene, quoique, à un moment donné, la guerre ait été imminente. Par contre, il a souffert cruellement de la famine, car ses habitants sont beaucoup plus dependants des produits de leur sol que ceux qui habitent les environs de Lourenço Marques, et qui peuvent, par leur travail, se procurer de quoi acheter des vivres. Que pouvions nous faire pour aider ces pauvres affamés, quand nous avions déjà un nombreux personnel a nourir a grands frais? Nous cherchâmes a leur donner du travail et nous priâmes. Le travail a procuré aux gens de tous les villages qui nous environnent de quoi aller acheter des vivres oś il y en avait encore, et nos prieres ont eu pour resultat de faire venir la pluie plusieurs fois au moment opportun. Les gens savent bien reconna”tre qu'il y a eu là une double intervention divine, mais de la a se convertir, il y a un pas bien grand, helas!

Un autre bienfait leur a été accordé par l'arrivée de Dr. Liengme qui, depuis la fin d'Août, est installé ici avec sa famille, et accordé largement a tous les malades qui le reclament le secours de son art, tout en secondant dans l'école et la prédication le missionnaire chargé de la direction de la station.

Au milieu de ces circonstances diverses, notre tâche est d'interpreter le plus fidèlement possible les dispensations divines, et c'est ce que nous cherchons a faire soit dans nos conversations aussi les gens, soit dans nos prédications du dimanche, preparées toujours des le samedi par des courses dans tous les villages environnants, que nous nous partageons. Pendant la saison des labours nous avons obtenu a force d'instances que le travail soit abandonné le dimanche. Gracé a ce fait, nous avons eu constamment de bons auditoires, variant entre quarante et cent personnes. Le chef Ntchoungi donne lui-même l'exemple en venant régulièrement au culte quand il n'a pas d'empêchement.

Pendant la bonne saison, tous les villages situés dans un rayon de cinq kilomètres autour de la station ont eté visités au moins deux fois chacun dans nos courses du dimanche après midi. Fréquemment aussi, le médecin missionnaire est appelé a se rendre à dix ou quinze kilomètres de distance et la aussi il trouve des groupes considerables de villages a évangéliser. De plus, des malades, venus souvent d'assez loin, trouvent sur la station, avec la guerison du corps, l'occasion d'entendre la bonne nouvelle du salut.

Nous cherchons ainsi a jeter abondamment notre pain a la surface des eaux. Si nous ne le recueillons pas nous-mêmes, il n'est cependant pas perdu. Il descendra le courant, et ce seront nos successeurs qui le retrouverant.

Nous ne devons pas nous faire d'illusions en effet: les MaKhossa sont une forteresse difficile a prendre. Ils sont, il est vrai, intelligents, agréables, causeurs, souvent même affectueux. Ils sont moins voleurs, moins mefiants et plus fidèles a leurs promesses que la plupart de leurs frères africaines. Ils entendent voluntiers l'Évangile, et se dérangent même pour venir sur la station le dimanche. Ils se déclarent très vite convaincus, et souvent ils le sont réellement dans leur intelligence; ils reconnaissent les bienfaits de Dieu, et surtout les avantages matériels qui resultent pour eux de notre présence dans le pays. Tout cela nous a profondement attachés a eux. Mais la grande difficulté, c'est que nous avons encore affaire a la nation en bloc, et non a des familles ou a des individus isolés comme a Lourenço Marques. L'ésprit national est très developpé chez les MaKhossa, et personne ne concedait [?] la possibilité de se détacher de l'ensemble du peuple, en abandonnant toutes les coutumes nationales pour se faire chrétien. Du haut en bas de l'eéchelle, tous sont d'accord que notre manière de vivre vaut mieux que la leur, mais personne ne veut faire le premier pas décisif, les chefs moins que toute autre, et c'est a eux que chacun regarde. C'est des profondeurs du repentir que devraient jaillir les individualités nouvelles, mais les pauvres gens n'arrivent pas a comprendre qu'ils sont pécheurs, et encore moins qu'ils sont des condamnés qui doivent être rachetés. Il y a encore chez eux une large mesure d'honnêteté naturelle qui les rend plus inaccessibles que ceux qui ne mettent aucun frein a leurs passions. De la une résistance passive, une force d'inertie contre laquelle nos efforts perseverants n'ont encore rien pu. Si nous ne savions pas ou aller nous retremper chaque jour de nouveau, il y aurait certainement dans cette attitude des gens de quoi nous décourager. Et, a vues humaines, l'avenir ne nous reserve rien de bon, car le jeune chef qui grandit en ce moment, et qui prendra sans doute les rêves du gouvernement dans cinq ou six ans, se montre déjà opposé a l'Évangile, a l'instruction et a tout ce qui peut mettre un frein aux passions humaines. Chose triste à dire, on lui a déjà appris a conna”tre et a aimer l'eau-de-vie, et, avec ses compagnons de jeux, il nous donné souvent le spectacle triste entre tous de jeunes garcons ivres.

Cette résistance passive, nous ne la sentons nulle part davantage que dans le domaine de l'école. Malgré tous nos efforts reunis et toutes nos exhortations, nous n'avons pu obtenir des parents qu'ils nous envoient leurs enfants régulièrement, de sorte que nous n'avons encore comme élèves réguliers que nos petits domestiques. Il doit y avoir sans cette résistance un ordre venu de haut, mais qu'on nous cache soigneusement. Malgré ces mécomptes, nous essayons d'asseoir notre école sur des bases solides, avec une moyenne d'une dizaine d'élèves, et chacun de nous, les dames aussi bien que les missionnaires et l'évangéliste, y prend une part active. Pendant les travaux de construction, nous avions en plus une école du soir pour les ouvriers, venus pour la plupart de Lourenço Marques, du Tembe et de Rikatla.

Notre unique annexe, celle de Magoude n'existe plus que de nom depuis la suspension de l'évangéliste qui, depuis dix ans qu'il travaillait là, n'avait que sa famille pour toute congrégation. Que devrons nous faire s'il persiste dans sa revolte? Il ne vaudra probablement pas quitter le pays, et nous ne pourrons pas le chasser de la maison qu'il a bati de ses propres mains. Il faudrait donc rebatir l'annexe et y placer un nouvel évangéliste. Mais sa position serait difficile a cote de Yozefa, qui a su gagner la confiance et l'affection des MaKhossa. Une autre considération s'ajoute a celle-la, c'est que le district de Magoude a perdu, depuis la déposition de Mavabaze, toute son importance. L'année dernière, après le départ de Mavabaze et de ses gens, l'évangéliste y est reste absolument seul avec sa famille. Cette année, comme je le prevoyais dans mon dernier rapport, il s'est repeuplé, mais d'une population beaucoup moins dense qu'autrefois. Le chef-lieu a eté transporté a Rohayene, la résidence du jeune chef et du commissaire portugais, à trois kilomètres de notre station, et il n'est pas probable que Magoude reprenne jamais son importance passée, car Rohayene est le chef-lieu historique, que le chef Magoude n'avait abandonné que pour suivre une femme favorite. Ajoutons a ces considérations que l'annexe de Magoude est située trop près de la station pour que les deux points puissent embrasser dans leur action une superficie de pays proportionnée a leur importance. En presence de tous ces faits, nous nous demandons si l'annexe de Magoude ne devrait pas etre transportée plus a l'Ouest, de l'autre c™te du Nouanetsi, oś la population, déjà dense autrefois, a eté renforcée l'année dernière d'un contingent considerable venant avec son chef Machandlela [?], des environs de Magoulé. Nous nous proposons d'etudier cette question pendant la bonne saison, en allant faire un petit séjour dans cette partie du pays.

Puis Magoulé, avec sa poignée de chrétiens fort peu avancés, attend toujours son évangéliste. Pendant les trois mois qu'ont duré les transports par le fleuve, deux jeunes gens ont été là à demeure pour surveiller les bagages, et nous en avons profité pour leur faire ... les services du dimanche et les prières du matin et du soir. Puis en Novembre l'évangéliste Thomas y a passé trois semaines, faisant non seulement les services habituels, mais encore une école journalière. Nous voudrions ne pas finir l'année 1893 sans que cette annexe soit fondée, mais la aussi se posent diverses questions qui reclament un séjour sur les lieux. La réconstitution de l'annexe de Magoude et la fondation de celle de Magoulé etendrait notre influence aux deux extrémités du pays dont Antioka est le centre.


A. Grandjean, "Rapport sur l'oeuvre missionnaire au Littoral de la baie de Delagoa pendant l'année 1892." [SMA 1256 A/4], 25-31.