Extrait des Registres du Conseil d'État du Roi, 9 décembre 1780. [BN-MSS, FF 9228. f24; AN O1 844, dossier 29]

Le Roi étant informé qu'il existe toujours des contestations entre les Auteurs Dramatiques et les Comédiens Français, quoiqu'une partie de leurs discussions ait été terminée à l'amiable par un accord signé des Comédiens le onze mars dernier, approuvé le trente-et-un du même mois par les premiers Gentilshommes de la Chambre de Sa Majesté et signé par les Auteurs le sept mai suivant, et qu'il soit d'ailleurs intervenu le dix-sept mars et le douze du mois dernier deux arrêts qui semblaient devoir finir toutes les autres difficultés, sa Majesté a jugé indispensable de se faire rendre compte dans le plus grand détail des différents mémoires contenant les représentations des comédiens et celles des auteurs, et de prononcer définitivement par des dispositions si claires et si précises qu'il ne puisse désormais rester aucune doute sur ses véritables intentions. A quoi voulant pouvoir:

Oui le Rapport, le Roi étant en son Conseil, a ordonné ce qui suit:

Art. 1. Toutes les Réceptions faites jusqu'à ce jour par la Comédie de pièces non encore jouées seront regardées comme nulles et non reçues. Pourront néanmoins les Auteurs des d[ites] Pièces les présenter de nouveau à la Lecture. Veut et entend Sa Majesté que, lors de ces nouvelles Lectures, les Comédiens ayant des Égards pour les Auteurs déjà connus au Théâtre par de bons ouvrages, Leurs Pièces qui seront reçues au nouvel examen conserveront entre elles le rang d'ancienneté qu'elles avaient auparavant, et Les Auteurs dont les Pièces seront refusées achèveront le tenir de leurs entrées, comme leur ayant été acquises par la réception ci-devant faite.

Art. 2. Pour prévenir par la suite tout abus dans la réception des Pièces nouvelles, soit de celles dont la première réception annullée par le précédent article, veut Sa Majesté qu'elles soient lues devant les neuf personnes de la Comédie qui composeront le Comité établi par autre arrêt de ce jour, et devant quatre autres personnes de la Comédie dont deux seront choisies par l'auteur de la pièce qu'il sera question de lire, ou par celui qui la présentera à sa place, et deux seront choisies par le Comité, de manière qu'il y ait toujours treize examinateurs qui assistent à la lecture d'une pièce, et qui jugent si elle doit être admise, ou refusée, ou renvoyée à correction, lesquels examinateurs seront tenus de se conformer aux Règlements observés pour les Lectures et réceptions des Pièces.

Art. 3. L'auteur, ou celui qui présentera la Pièce à sa place, pourra s'il le juge à propos, choisir dans le nombre des examinateurs celui qu'il voudra charger de la lecture de la d[ite] Pièce. Le Commissaire Général au Bureau de la Maison du Roi ayant le département des Menus, ou son représentant, assisteront aux Lectures le plus souvent qu'il leur sera possible, et surtout à celles des Pièces dont la réception est annullée par l'article premier du présent arrêt, sans néanmoins que leur absence puisse arrêter ou suspendre les dites lectures.

Art. 4. Pour que l'auteur connaisse le rang de la représentation de sa pièce, il sera fait un tableau à trois colonnes, l'une des grandes comédies, l'autre des tragédies et la troisième des petites pièces. La pièce reçue sera à l'instant inscrite sur la colonne à laquelle elle doit apppartenir pour être jouée à son rang sans distinction de saison d'hiver ou d'été, et ce rang ne sera pas interrompu si ce n'est du consentement de l'auteur.

Art. 5. Toute réception et la date d'icelle sera constatée par la mention qui en sera faite sur le manuscrit de l'auteur et sur un registre tenu à cet effet.

Art. 6. Si l'auteur consent à céder son tour à un autre, ce qui ne pourra avoir lieu qu'une seule fois, il sera tenu de prendre le rang de celui auquel il aura cédé le sien; mais ce remplacement ne pourra se faire que par des Pièces du même genre, et même ne pourra avoir lieu, s'il se trouve d'autres pièces reçues antérieurement dont le sujet soit le même que celui de la pièce qui sortirait de son rang.

Art. 7. La Distribution des Rôles et même le choix des doubles, au défaut des acteurs en chef, appartiendront à l'auteur seul ou à celui qui aura présenté la Pièce en son nom à la Comédie et les acteurs originairement chargés des Rôles ne pourront les faire passer à leurs doubles que du consentement de l'auteur ou de son représentant, à moins qu'ils ne soient absents; ne pourront néanmois les auteurs obliger les Comédiens à se charger d'autres rôles que ceux de leur genre et emploi ordinaire.

Art. 8. Aucun Comédien, ni Comédienne, ne pourra sans des raisons valables dont la convenance appartiendra aux Premiers Gentilshommes de la Chambre de Sa Majesté refuser un Rôle de son emploi que l'auteur lui aura destiné, à peine de cent livres d'amende ...

Art. 9. Les Comédiens ne pourront, sinon pour des causes graves dont la convenance sera réservée aux Premiers Gentilshommes de la Chambre de Sa Majesté, refuser de jouer, à son tour, une pièce ni en retarder les représentations, sans le consentement de l'auteur; et si la représentation était retardée par la faute de quelqu'un des comédiens, il payera trois cents livres d'amende ...

Art. 10. Auront les auteurs droit de donner des Billets chaque jour de représentation de leurs Pièces, tant qu'ils y prendront part. Savoir: à six personnes à l'amphithéâtre pour les pièces en cinq actes ... sur lesquelles places l'auteur pourra en désigner une au Parquet. L'excédent que l'auteur demande sera par lui payé, ainsi que tous les billets de parterre, s'il en demande aussi, mais il ne pourra lui en être délivré plus de vingt et seulement au trois premières présentations.

Art. 11. Les 2300 livres en hiver et 1800 livres en été seront les sommes au-dessous desquelles les Pièces seront tombées dans les Règles et appartiendront à la Comédie. Veut et entend Sa Majesté que la totalité de la Recette, sans aucune déduction de frais, entre dans le calcul des d[ites] sommes ... de manière que l'on y comprenne non seulement la Recette de la Porte et le produit des loges louées par représentation, mais encore le produit des loges louées à l'année, suivant le prix des baux ramené au produit journalier, en le divisant par le nombre des représentations de chaque année, le produit des abonnements à vie évalué sur le pied de l'intérêt à dix pour cent et généralement toutes les parties quelconques de la recette entière du spectacle ...

Art. 12. Sa Majesté a également fixé et réglé les parts d'auteur à raison de cent quarante-deux (142) livres seize sols sur mille livres pour les pièces en cinq ou en quatre actes, de cent sept livres (107) deux sols sur mille livres pour les pièces en trois actes et de soixante-et-onze livres (71) huit sols pour les pièces en un ou deux actes. Entend Sa Majesté que les dites parts soient prises sur la totalité de la recette ... sous les déductions du quart des pauvres et de la somme de six cents livres pour les frais ordinaires ... conformément à l'accord signé par les comédiens le onze mars dernier, approuvé par les Premiers Gentilshommes le trente-un et signé par les auteurs le sept mai suivant, ...

Sa Majesté déclarant dès à présent tous pareils traités qui ne pourraient être faits à l'avenir, nu[ls] et de nul effet, et voulant qu'il soit loisible, soit aux auteurs, soit aux comédiens de révoquer les consentements qu'ils pourraient y avoir donnés, et de s'en tenir aux parts fixées par le présent article.

Art. 13. Les fixations faites par les deux précédents articles pour la chute dans les règles et pour les parts d'auteur seront exécutées à compter du jour du présent arrêt, tant pour les pièces qui n'ont point été encore jouées que pour celles qui l'ayant été et qui n'étant point encore tombées dans les anciennes règles, se trouveront dans le cas d'être reprises, sans néanmoins que les auteurs des dites pièces reprises puissent prétendre, pour les représentations antérieurement à la date du présent arrêt, à d'autres parts que celles des 9e, 12e, et 18e qui ont eu lieu jusqu'à présent.

Art. 14. Tout auteur pourra faire imprimer sa pièce sans perdre son rang de représentation, si les comédiens ont passé sans la jouer deux ans à compter de la date de la réception. Dans tout autre cas, les comédiens auront le droit de ne pas jouer la pièce imprimée prématurement.

Art. 15. Toute distinction entre ce qu'on appelle grands et petits jours cessera provisoirement d'avoir lieu. ... Entend Sa Majesté que cet arrangement provisoire commencera de s'établir au moins pendant trois mois consécutifs par une suite de bonnes pièces anciennes, tant comiques que tragiques avant que l'on puisse y soumettre les nouveautés.

Art. 16. Tous les articles des anciens arrêts et Règlements concernant la Comédie auxquels il n'est point dérogé par le présent arrêt, auront leur exécution comme par le passé, à l'exception néanmoins des arrêts du dix-sept mars et du douze mai dernier et les Règlements y annexés que par autre arrêt de ce jour Sa Majesté a révoqués et déclarés comme non avenus. Mande et ordonne Sa Majesté aux Premiers Gentilshommes, au Commissaire général au Bureau de la Maison du Roi ayant le Département des Menus, ou son représentant, de tenir la main chacun en droit soit, à l'exécution du présent arrêt que Sa Majesté veut être exécuté suivant sa forme et teneur, non obstant toutes oppositions ou empêchements quelconques pour lesquels ne sera différé et dont si aucun [... ?] interviennent Sa Majeste s'en réserve à soi et à son conseil la connaissance icelle intercédant à toutes ses cours et autres juges.

Fait au Conseil d'État du Roi, Sa Majesté y Étant, tenu à Versailles le neuf Décembre, mil sept cent quatre-vingt.

[signé] Amelot.