"Lettre de Madame de Gouges adressée à Messieurs les Colons américains," Chronique de Paris 118, p. 474 (December 19, 1789).

Voici la neuvième année que j'essayai de peindre, dans un drame, toute la rigueur de l'esclavage des noirs. Il n'était point alors question d'adoucir leur sort et de préparer leur liberté. Seule j'élevai la voix en faveur de ces hommes si malheureux et si calmoniés.

A l'impression, l'intérêt du sujet fit oublier la médiocrité de l'auteur. Ce drame présenté à la Comédie Française, il y a quelques années, l'Heureux Naufrage, a essuyé plus d'une tempête. Échappé aux écueils et aux vents contraires de l'autorité, il vogue maintenant avec liberté vers la scène, sous ce titre: l'Esclavage des Noirs.

Si je n'avais à craindre que la faiblesse de mes talents et la puissance de mes ennemis, l'époque actuelle du rétablissement de la liberté semblerait me promettre quelque indulgence pour un ouvrage qui la défend. Mais ne suis-je pas encore en butte à tous les protecteurs, facteurs [?] du despotisme américain . . . ([note:] On sait qu'ils viennent de publier un libelle sanglant contre la Société des Amis des Noirs; mais ils se sont bien gardés d'y nommer M. de Lafayette, M. le Duc de la Rouchefoucauld, etc . . . qui se font cependant honneur d'être comptés parmi les Amis des Noirs.)

Que mon sexe obtienne au moins du public, le jour de la première représentation, le même intérêt qu'il a accordé à l'auteur de Charles IX.

Je dois dire encore que je n'ai pas puisé le dialogue de ce drame dans les événements du jour, et que j'ai consacré ma part d'auteur à augmenter la contribution patriotique dont j'ai eu la première idée dans une brochure imprimée depuis quinze mois . . .

Si cette pièce pouvait avoir la même fortune que Figaro ou Charles IX, en vérité, Messieurs, je n'en serais pas fâchée pour ma gloire et pour la caisse patriotique.

De Gouges
Paris, ce 19 décembre 1789.