Letter from Olympe de Gouges, November 27, 1788. [Cornell University, Kroch Library, French Revolution Collection; FR #4606]

À ce qu'il paraît dans votre réponse, Monsieur, vous n'êtes nullement instruit des injustices et des tracasseries que la Comédie m'a fait éprouver. Je vais vous en faire en détail le plus abrégé qu'il dépendra de ma manière de m'exprimer.

La Comédie m'a reçu un drame d'une unanime voix, et je puis dire avec la plus tendre émotion; rien ne gardait alors son opinion, que la noble intégrité, aussi fus-je accueillie. Une seconde pièce que je n'avais point destinée à la Scène Française mais que M. Mole me demanda fortement, me fit perdre l'attention des comédiens, et je puis dire la justice qu'ils me devaient encore. Ce n'est point du refus de cette dernière pièce dont je me plains, il était peut-être à la place. Mais c'est de l'indécence qu'ils ajoutèrent à ce refus. Je fus forcée de reconnaître qu'il y avait eu une cabale contre moi, et que je n'avais pas eu l'art de prévenir. Je m'en plaignis. Le Sr. Florence [fut] instruit de mes plaintes, qui étaient bien pardonnables, le jour du refus de ma pièce; mais, ce Comédien n'en eut pas moins l'audace de m'insulter. Je priai la Comédie de réprimer sa conduite. Pour satisfaction, elle raye mon drame de Dessus le tableau et m'ôte mes entrées et pour mieux signaler un coup d'autorité répréhensible, elle va chez le Lieutenant de Police m'accuser l'auteur d'un écrit ténébreux.

L'honnête M. De Crosne indigné d'une calomnie si rebutante, renvoie les Comédiens en leur assurant qu'il ne pouvait pas tremper dans ce projet; c'est ce que m'a confirmé ce respectable magistrat. M. Mole me raccommode avant que je fusse instruite de tous ces faits qui peevent [?] la menace à un procès criminel.

Quant à mon tour, dont on vous a assuré, Monsieur, n'être point encore arrivé, C'est la plus grande imposture. D'ailleurs, je veux le croire; mais celui dont la Comédie ne vous a pas parlé et qu'elle ne peut contester, le voici:

M. Mole et Mlle. Contant partirent pour la province, empêchant plusieurs auteurs de se faire jouer; ils abondonnèrent donc leur tour à la comédie; elle voulu bien m'en gratifier d'un dans la mauvaise saison, que j'acceptai avec transport. Vous n'ignorez point, Monsieur, qu'un tour donné devient un tour de droit et que l'auteur qui n'avait cédé son pas devait passer derrière moi. Ce sont là, je pense, la justice des Règlements ou je n'ai pas l'ombre du bon sens. Mes rôles ont été distribués, ma pièce mise à l'étude, et sous le prétexte que les acteurs chéris reviennent dans la capitale avec la bonne saison, on flambe [orig] mon droit impunément et l'on me renvoie à mon prétendu tour. Je vous demande, Monsieur, si tout ce que l'on connaît d'injuste et de rebutant de la part des Comédiens Français a rien qui approche de son horrible conduite envers une femme.

Enfin, je conçois le noble projet de vaincre les comédiens et de me les rendre plus équitables. Les uns après les autres ne cessaient de me dire ou de m'écrire que le nom de Molière portait un nom sacré pour la Comédie, que le plus mauvais ouvrage, à ce nom, serait respecté et accueilli par elle. Je lui présente Moliere Chez Ninon, ou le Siecle des Grans hommes.

Je vous renvoie, Monsieur, à cette pièce et à mes préfaces pour vous convaincre de tous les mauvais procédés dont la comédie m'a toujours gratifiée. Voilà les égards et les encouragements qu'elle emploie pour un auteur à qui son sexe devait en imposer et qui n'est pas, sans prétention, dépourvu du talent dramatique. Du moins, le suffrage général que les pièces ont obtenu devait rendre les Comédiens plus circonspects sur ses ouvrages. C'est ce que je laisse à votre jugement, Monsieur. Mais quant au tour que je réclame, il m'est bien dû, vous en serez persuadé après tout ceci.

Il y a longtemps que j'aurais pu profiter des offices que m'ont faits des femmes de la première distinction et des hommes recommendables, si j'avais voulu faire la loi aux Comédiens. Je voulais les gagner et non pas les combattre, et je vois que je suis réduite à cette dernière extrémité; à moins que vous n'employiez, Monsieur, tout ce qui est en votre pouvoir, comme vous avez bien voulu me l'offrir dans votre lettre, et faire connaître aux comédiens non seulement leur tort de n'avoir pas représenté mon drame, depuis longtemps, mais encore d'avoir refusé Moliere Chez Ninon, et que le seul arrangement qui puisse se faire entre moi et la Comédie est de mettre, sur le champ, ma pièce à l'étude. Elle est devenue pièce de circonstance par différents papiers publiés qui font mention de l'Esclavage des Nègres, et ce drame est entièrement leur histoire. Vous voudrez bien, Monsieur, accepter mon troisième volume et après en avoir pris lecture, vous aurez, j'espère, la complaisance de m'en dire votre façon de penser.

Si j'ajoutais à cette lettre celle que j'ai reçue de M. Mole, ces jours derniers, vous apprendriez des faits bien extraordinaires. Je m'en vais seulement vous en rapporter quelques phrases qui vous prouveront si les Comédiens vous ont parlé de bonne foi, en vous assurant que mon tour n'était point venu.

"Si notre assemblée, m'écrit M. Mole, n'eut été composée que d'hommes, probablement cela eut peu marqué; mais, comme les femmes sont jugées compétentes des femmes, il se trouva que mon zèle, ne fut plus le maître d'y porter le calme que j'aurais désiré pour vous."

Second article.

"Quand à votre pièce, je suivrai à son égard l'impulsion que me donnera ma société, si elle la joue, et [quoi]que mes talents vous soient utiles, je les consacre à l'auteur de Mirza."

Voilà, Monsieur, comme la Comédie est décidée à jouer mon drame. Voilà comme jamais la cabale ne guide leur opinion et l'équité de leur jugement sur les pièces de théâtre. Ah, Monsieur, si mon mémoire paraît, j'ose assurer qu'elle est perdue à jamais! Quelle obligation elle ne vous aura pas si vous voulez bien la porter à des sentiments plus honnêtes et plus justes envers moi. Je vous en aurai moi-même la plus vive obligation, ne chérissant pas la gloire aux dépens d'un célèbre procès. Si mes ouvrages ont quelque mérite, le public me récompensera assez des tracasseries de la comédie et de ses injustices. Je compte beaucoup sur vous, Monsieur, j'ai l'honneur d'être, avec la plus sensible reconnaissance de vos offres gracieuses,

Monsieur
Votre très humble servante,
De Gouges.
Paris, ce 27 8bre 1788.
Rue de Vaugirard, no 83.